* Je vais te manquer

Publié le par 67-ciné.gi-2009

090610vai.jpg









Je vais te manquer drame de Amanda Sthers

09logugc.jpg logfra.jpg










09loglepass.jpg 09logsitugc.jpg






avec :
Carole Bouquet, Pierre Arditi, Anne Marivin, Patrick Mille, Fred Testot, Mélanie Thierry, Cécile Cassel, Mélanie Page, Ariane Seguillon, Karine Silla, Yves Jacques, Monique Chaumette, Michaël Lonsdale, Adrien Jolivet, Alexandra London, Hyacinthe Imayanga, Clara Barbosa, Emmanuelle Bougerol, Stephan Guerin-Tillie, Raphaël Mezrahi, Christine Orban et Fabienne Thibeault
et la participation amicale de Frédéric Thiriez, Simon Monceau, André Maruani et Guy Maruani

durée : 1h35
sortie le 10 juin 2009

***

Synopsis
Six destinées qui vont, l’espace d’un instant, dans un aéroport grouillant de vie, se bousculer, se séparer et se retrouver.
Et si ses personnages étaient en train de vivre, sans le savoir, le moment le plus important de leur vie ?
Olivier et Lila… Va-t-il rater l’amour ou va-t-elle rater l’avion ?
Julia et Marcel… va-t-elle rater sa mort ou va-t-il rater sa vie ?
Fanny et Max… Va-t-elle manquer de courage ou va-t-il manquer de chance ?

090610vai01.jpg
***

Entretien avec Amanda Sthers
- : « A 30 ans, vous avez déjà un parcours aussi dense que varié : romans, livres pour enfants, pièces de théâtre, chansons et scénarii... Quel est le dénominateur commun de toutes ces activités ? L'écriture ? »

Amanda Sthers : « Raconter une histoire, toucher les gens. Mais ce sont toujours les histoires qui "décident" de leur support, qui "imposent" leur forme et non l'inverse. »

- : « Comment s'écrit un roman ? Un scénario ? »

Amanda Sthers : « Le roman, c'est un amour passionnel, exigeant, nécessaire, instinctif; c'est écrire l’invisible. Un scénario, à l’inverse, c’est montrer tout ce qui ne se dit pas. Il faut aussi se méfier des dialogues. Comme dans la vie, les mots pèsent plus qu'on ne se l'imagine, mais masquent aussi ce que les yeux ou les gestes trahissent. C’est cette vérité que doit retranscrire un scénariste. Des dialogues indicatifs d’émotions et non explicatifs. Pour ça, mon ami Jean Loup Dabadie est une référence et j’écoute ses conseils précieux… »

- : « Enfant, vous vous nourrissiez d'histoires; adolescente vous vous échappiez dans les livres et dans les salles de cinéma. Quels sont les livres et les films qui vous ont marquée, et pourquoi ? »

Amanda Sthers : « Comme tous les artistes, je suis la somme de ce que j’ai vu, lu et vécu. Je ne vais pas vous dire que j’ai été bouleversée par Godard ou Truffaut… Oui, ça a été important pour comprendre des choses, mais ce ne sont pas mes références. J’ai grandi avec des expériences artistiques extrêmes et je me retrouve au milieu des chemins. Mon père m’emmenait voir des kabukis qui duraient quatre heures, je regardais LES AILES DU DESIR en boucle, tout comme CINEMA PARADISO. Je lutte contre le sectarisme intellectuel. Ce film est le produit d’une génération qui regarde SEX AND THE CITYY, QUATRE MARIAGES ET UN ENTERREMENT, qui lit Cioran et pleure devant une belle version de « La Traviata »… J’ai digéré tout cela et j’ai fait le film que j’aurais voulu voir au cinéma, sans penser à plaire à telle ou telle chapelle. Avec honnêteté et sincérité. »

- : « L'écriture a-t-elle toujours été une chose évidente pour vous ? »

Amanda Sthers : « Comme je respire oui… Je n’ai pas le choix. Ce serait bien de pouvoir ne pas écrire parfois, pour voir… ! Donc plus une obligation - une aliénation - qu’une évidence. »

- : « Tous ceux qui vous connaissent notent que, malgré votre allure juvénile, vous masquez une grande maturité. Dans votre premier livre, le très autobiographique « Ma place sur la photo », vous écriviez : "J'étais déjà une vieille femme en planque dans un corps d'enfant". Comment l'expliquez-vous et est-ce toujours le cas aujourd'hui ? »

Amanda Sthers : « Malheureusement les choses s’inversent (rires) ! J’ai tendance à me dégager de la gravité en grandissant. En réalité, ce que les gens ont longtemps qualifié de maturité, c’est probablement mon recul, le second degré que je place dans toutes ces choses que les jeunes gens pensent « sérieuses » ! A commencer par eux mêmes. Les gens qui se prennent au sérieux sont ennuyeux, non ?... donc j’essaie d’éviter. »

- : « De même, et pendant longtemps, malgré vos succès publics et critiques, vous donniez l'impression de ne pas mériter votre place sur la photo. D'où vient cette peur qui ne vous empêche pas – heureusement – de vous lancer de nouveaux défis ? »

Amanda Sthers : « Comme tout le monde, j’aime être aimée et que mon travail touche. Mais je ne fais pas ça dans ce but. Je le fais, comme je le disais au sujet de l’écriture, parce que je n’ai pas le choix. C’est ce qui me fait me lever le matin, et la nuit… Ca et mes enfants ! La peur vient d’ailleurs, c’est une peur de la mort. Et puis la conscience aigue que tout ça n’a pas grande importance. Comme les autres, je connaîtrais plus ou moins le succès et mes livres rejoindront une étagère... ou des bûches dans une cheminée. Quant aux défis, c'est la vie même. C’est ce qui dessine des sourires sur mes lèvres… Une fois les choses terminées, elles ne m’appartiennent plus. Ce sont les rêves et les envies qui nous appartiennent, et non leur réalisation. »

- : « Justement, qu'est-ce qui vous a poussée à passer à la réalisation ? »

Amanda Sthers : « Très clairement une femme ! Brigitte Maccioni, qui dirige UGC Images, et qui sentait ce désir en moi avant que je n’ose me l’avouer. Puis Yves Marmion a été son complice. Il a longtemps été question de donner ce scénario à un autre. Et, une nuit, ça m’a réveillée. Je me suis dit que le risque de la vie était de ne pas en prendre, que je devais y aller. »

- : « Depuis quelque temps, pas mal de romanciers osent passer derrière la caméra - Philippe Claudel, Christophe Honoré, etc -, comment l'expliquezvous ? »

Amanda Sthers : « Je suis d’une génération de l’image. J’ai toujours beaucoup lu et je trouve une urgence, et une noblesse dans la littérature dont je ne peux me passer. Mais mon métier et mon envie de « raconter des histoires » trouvent forcément dans le cinéma une logique. Quant aux producteurs, je pense qu’ils se tournent vers nous car nous restons à l’essentiel - qui est justement de raconter une histoire simplement. Nous ne risquons pas, du moins pour nos premiers films, de faire un film « clipesque », bien réalisé mais qui n’embarque pas les gens. Philippe Claudel, par exemple, est allé à l’essentiel. Et il a touché juste. »

- : « Quel est, pour vous, le miracle du cinéma ? »

Amanda Sthers : « Je trouve qu’il y a dans le cinéma une vérité, une façon d’entrer et d’adhérer à l’histoire que je n’ai jamais trouvée ni au théâtre ni même dans le roman. C’est le seul endroit d’où je sortais enfant et où, avec mes frères et soeurs, on se posait la question de ce que faisaient les héros ensuite. C’est ce qui crée cette fascination. Ils sont tous les héros qu’ils interprètent. »

- : « Pour vous un film, c'est… »

Amanda Sthers : « Des amis. Comprendre des destins qu’on ne peut approcher et qui nous permettent de mieux aimer ceux qui nous entourent. C’est pour cela qu’il n’y a rien que j’aime plus que les anti-héros. Comme Marcel Hanri, le personnage que joue Pierre Arditi dans le film. A priori détestable et auquel, si j’ai réussi mon pari, on s’attache. »

- : « La couleur de « Madeleine », l'un de vos romans, était le gris-bleu, une couleur de ciels et d'amours délavés. Si vous deviez donner une couleur à votre film, laquelle serait-elle ? »

090610vai02.jpg
Amanda Sthers : « La couleur du ciel lorsqu’on se réveille dans l’avion. Du bleu, du rose, du gris. Des espoirs de beaux temps, des couleurs irréelles ou encore la certitude de la pluie. Des couleurs différentes qui pourtant s’harmonisent et ressemblent à la vie. Des doux mélanges et la surprise de trouver du rose dans le gris ou inversement. C’est un film sur les rencontres, donc sur les mélanges et les chocs de couleurs. »

- : « Quand avez-vous eu l'idée de cette histoire ? Quel a été votre point de départ ? Et comment avez-vous écrit le scénario ? »

Amanda Sthers : « Originellement, ce devait être un roman qui, très vite pourtant, s'est imposé comme un scénario. J’ai commencé à l’écrire en m'interrogeant : « Qu’est-ce que l’on emporte dans sa valise quand on part pour mourir ? ». Je me suis posée cette question chez ma grand-mère qui partait à l’hôpital, certaine, à raison, de ne jamais revenir. Ce questionnement a été l’axe autour duquel j’ai construit Julia, le personnage interprété par Carole Bouquet. Et puis, naturellement, l’aéroport qui grouille de vie a tissé sa toile autour d’elle et, avec de nouveaux visages, sont apparues de nouvelles émotions. J’avais envie d’une vision libératoire de la mort, pas désespérée. La vie qui continue, ça a été ma solution. La vie qui tourbillonne. »

- : « Pourquoi ce titre : JE VAIS TE MANQUER ? »

Amanda Sthers : « Mes fils sont bilingues et Oscar faisait toujours cette erreur de traduction… "I miss you mummy" devenait « je te manque maman. ». Se pourrait-il qu’on ne se manque pas pareil quand on ne parle pas la même langue ? »

- : « Comment s'est effectué le choix des acteurs ? »

Amanda Sthers : « Pierre Arditi et Carole Bouquet, j'en rêvais… Pierre m'a appelée deux heures après avoir reçu le scénario : même si j'essayais de rester très calme et professionnelle au téléphone, j'étais en transe ! Je voulais aussi donner un rôle à Mélanie Thierry, qui a joué mon « Vieux juif blonde » au théâtre. Patrick Mille est pour moi un peu le Hugh Grant français, et je suis sûre qu'il aura une grande carrière. Pour moi, il est de la même famille d'acteurs que Pierre Arditi – un jeu très subtil, de l'horlogerie pure. J'ai aimé donner un rôle tendre à Michael Lonsdale; quant à son amoureuse dans le film, Monique Chaumette, je trouve que c'est quelqu'un qu'on ne voit pas assez. C'était la plus jeune sur le plateau : elle a un humour incroyable ! Anne Marivin me plaisait par sa lumière, son visage solaire. Et puis, comme le budget était très serré, il y a aussi beaucoup d'amis qui font de la figuration ou qui tiennent des seconds rôles. Ceux qui me connaissent reconnaîtront mon père, mon assistante, telle ou telle copine...C'était l'ambiance d'un court-métrage – cette énergie, cette envie – avec l'enjeu d'un long. »

- : « Aviez-vous un désir précis de cadres, de lumières, de décors ? »

Amanda Sthers : « Oui, absolument ! D’abord, je tenais absolument à ce que les gens soient beaux - ce qui n’est pas toujours la priorité dans le cinéma français ; c’est une demande très anglo-saxonne. Et puis je désirais surtout une cohérence. Je n’ai pas parlé de façon isolée aux chefs de postes. Tout le monde était concerné par tout, tout le temps et chaque avis était le bienvenu. Compte tenu du nombre de personnages, nous avons procédé en créant une charte précise pour chacun d’entre eux. Charte de couleurs, de matières, de lumière qui avaient en écho la coiffure et le maquillage. Ca nous a tous beaucoup amusés et ça nous a aussi aidés à visualiser et mémoriser rapidement l'identité des personnages. A chacun, un univers précis – âge, origines, profession, milieu social, situation sentimentale, etc. Travailler ensemble - et non à côté - a été le mot d’ordre sur ce film. »

- : « Etes-vous très directive? Pour l'auteur que vous êtes, qu'a représenté le travail en équipe ? »

Amanda Sthers : « Il faudrait le demander à l’équipe – ce qui, d'une certaine façon, constitue une réponse. Je pense partage plus que diriger. Je mets vraiment tout en oeuvre pour motiver des gens, susciter l’envie. Nous étions tous là dans le même but, donner vie à ce rêve. L’équipe était jeune, dynamique, impliquée. J’ai cherché à donner conscience a chacun de son importance. Un film ne peut se réduire à son réalisateur, mais est bien la somme des talents qu’il choisit pour l’aider à faire exister une histoire et la cohésion qu’il installe entre ces talents. Mais, bien sûr, dès que la notion d’humain entre en jeu, il y a inévitablement des désaccords, des tensions, des tempéraments qui s’opposent. Et j’ai dû apprendre ça. Moi qui vivais seule devant ma feuille de papier, je me suis retrouvée à la tête d’une PME ! D’une façon générale, les situations problématiques ont été gérées dans la douceur. Et, comme quand on gronde des enfants, quand on ne crie pas souvent, il suffit de hausser la voix pour qu’on mesure la gravité d’une situation. »

- : « Est-il plus facile d’abandonner un film qu’un livre ? »

Amanda Sthers : « Je trouve qu’un film a, dès le départ, vocation à être vu. On « cible » un public via les chaînes de télé qui le financent. On investit… On fabrique… On a une date de sortie. Il y a dans le roman une intimité, on a ce sentiment qu’on pourra le garder pour nous jusqu’au dernier moment, le garder à jamais ou même le détruire. Un roman c’est l’intime. Un film, c’est une fille facile qui ne connaît pas la pudeur et qui est vouée à être déshabillée ! »

- : « La scène d'ouverture est un flashback : alors que la tristesse se lit sur le visage de Carole Bouquet, elle se souvient de ses deux petites filles qui jouent, dehors, puis de leurs ballons qui s'envolent. Que représente cette scène ? La fin de l'enfance et, avec elle, celle de l'insouciance ? »

Amanda Sthers : « Le début du film, c’est le temps qui passe. La nostalgie. Les choses qui nous tombent dessus. On a toujours une sorte de vision de ce que va être la vie, comme si c'était une ligne droite. On imagine des douleurs, des joies mais surtout un début et une fin. »

- : « La thématique du souvenir est très présente chez vous. »

Amanda Sthers : « Je pense qu’on est ce qu’on fait et ce qu’on a fait, et non pas ce qu’on dit ni même ce qu’on pense. Le souvenir (ou plutôt l’expérience) est pour moi la meilleure façon de comprendre un personnage. Je suis la fille d’un psy freudien ! Et je suis quelqu’un de nostalgique, c’est mon tempérament. »

- : « Telle une sismographe, vous enregistrez et retransmettez les traumas de l'existence et de l'enfance – c'était particulièrement frappant dans vos romans « Madeleine » ou « Keith me ». Qu'est-ce que ce moment représente pour vous ? »

Amanda Sthers : « Je pense que nous avons tous une blessure originelle. Dans « Keith me », elle remonte à ce moment où son père se moque de lui alors que, jouant dans un bac à sable, il se fait tabasser par des garçons. Pour moi, ce moment correspond à la perte de l’innocence et à l’apprentissage de la solitude. C’est le jour où l’on perd confiance en l’autre, ou l’on prend conscience du moi. La vraie coupure du cordon se fait à ce moment-là, et je pense qu’elle dessine tout le reste de notre vie. »

- : « Comme dans « Madeleine », on retrouve aussi l'acceptation de la vie et de ses limites, les chemins que l’on n'a pas pris, les si et les peut-être... »

Amanda Sthers : « Ah, les chemins que l’on a pas pris… Comme ils nous bouffent l’existence ! Plus on vieillit, plus on regrette. C’est ainsi. On regrette les histoires dont on aurait pu être le héros et dont on ne connaîtra jamais la fin. Et, oui, comme le dit le personnage joué par Michael Lonsdale, je pense que les refus nous construisent autant que les acceptations. »

- : « Toujours à propos de ce roman, vous disiez : "C'est une véritable histoire d'amour, c'est-à-dire une histoire d'amour qui ne finit ni bien ni mal, mais qui transforme les choses et les êtres". Est-ce aussi le cas de votre film ? »

Amanda Sthers : « Je pense que c’est toujours le cas. Une histoire d’amour ce sont des névroses qui se répondent. Une belle histoire d’amour est celle qui nous a changé. Elle peut durer une nuit, une heure - comme celle que vivent Carole Bouquet et Pierre Arditi à l’aéroport ; qu’importe ! »

- : « Cela semble en tout cas s'appliquer au personnage joué par Pierre Arditi. Parlez-nous de Monsieur Hanri. »

Amanda Sthers : « Marcel Hanri est un anti-héros. Un personnage à priori odieux et mal aimable. Quand je donnais une référence à Pierre, je lui parlais de Jack Nicholson dans POUR LE PIRE ET LE MEILLEUR. Pierre Arditi porte en lui une sympathie immédiate, c’est la chance de ce genre d’acteur populaire, tellement aimé, il a un crédit de sympathie qui lui permet de forcer le trait dans le cynisme. Marcel Hanri est un écrivain qui a réussi, mais dont l’envie, ce que l’on appelle l’inspiration, a déserté alors même qu'il avait acquis la maîtrise, reçu moult prix et hommages. Sa rencontre avec Julia (Carole Bouquet), c’est l’envie qui revient. A travers le désir d’une femme - et son « exécution », car on sait qu’il pourrait la sauver -, il retrouve les moyens d'écrire. C’est un type obsédé par son oeuvre au détriment de sa propre vie. Certains trouveront ça égoïste, d’autres, à l’inverse, penseront qu’il se sacrifie pour son art. Il n’y a pas de bonne réponse. Chacun a la sienne. Mais c’est forcément une question que l’on se pose quand on est artiste : jusqu’à quel point pourra-t-on s’abîmer et abîmer les autres pour pouvoir être meilleur auteur ? »

- : « Votre film est à la fois très linéaire – dans le sens où vous racontez une ou plutôt plusieurs histoires dans un ordre relativement chronologique – et aussi fragmentée que peut l'être la vie. Cela ressemble à des vignettes, à des moments saisis entre deux morceaux de vie, à un instant. Pourquoi ce parti-pris ? D'où vous est venue cette idée ? »

090610vai00.jpg
Amanda Sthers : « J’ai aimé me dire qu’on pouvait comprendre des êtres comme ça, dans des instantanés, en une dizaine de photographies. Parfois des gens que l’on connaît depuis dix ans nous apparaissent en un instant : il suffit d’une scène révélatrice et, enfin, on saisit leur essence. Je raconte plusieurs destins donc je n’avais pas le loisir de m’attarder sur des scènes qui traînent en longueur… Il fallait aller à l’essentiel. Qui est-il ? Que fait-il ? Quel est l’enjeu de ce personnage ? D'ailleurs on ne se souvient pas de notre propre vie en continu mais bien de "scènes". Et puis j'appartiens à la génération zapping, celle qui regarde les séries sur HBO, et suit plusieurs histoires en même temps : on n’a pas le temps de se lasser ou de s'attarder sur un sentiment qu’un autre, déjà, prend sa place. »

- : « Le temps est, par ailleurs, l'une des grandes affaires du film. »

Amanda Sthers : « Mais oui, c’est l’affaire de la vie. Ce qui fait qu’elle est sublime et absurde. Les choses doivent s’arrêter. Si on vit en y pensant, les sentiments sont décuplés. »

- : « C'est, je trouve, une histoire qui vous ressemble : c'est amour, mort et dérision, comme dans l'une des vos pièces de théâtre, « Thalasso ». Le spectateur passe, en une seconde, du rire aux larmes... »

Amanda Sthers : « Ca ressemble à la vie. On n’est pas heureux ou malheureux. On subit la vie ou on contourne le destin avec plus ou moins de bonheur. Mais les rires viennent souvent fracasser des moments de grande détresse et inversement. J’aime les histoires qui ressemblent à la vie. Je n’aime pas les formes lissées, l’uniformité des sentiments ou des atmosphères. Et je suis bien incapable d’écrire sous contraintes. Comme dans « Thalasso », j’ai aimé confronter les humours, les degrés, les univers. »

- : « Il y a un aussi un côté conte de fées et histoire à dormir debout – même si le principe de réalité (la vieillesse, la mort, etc) est très fort - avec, dans le rôle d'un « Merlin l’enchanteur » un peu perché, Michael Lonsdale. »

Amanda Sthers : « C’est comme ça que je vois la vie. Je ne ferme pas les yeux à la réalité. J’ai une conscience violente que les choses ont une fin, c’est ce qui rend encore plus facile l’intrusion des contes de fées. J’essaie de fictionner chaque instant, j’invente, je mets de la magie, car je me rends compte de la fragilité des moments. C’est ça un film : saisir des moments et parvenir à insuffler aux personnages une épaisseur nécessaire pour que ceux-ci ne se limitent pas à l’instant que l’on voit mais renvoient au passé. Michael Lonsdale a en effet un côté « Merlin » L’enchanteur dans ce film ! Dans la première scène où il apparaît, il parle d'ailleurs comme un enfant alors qu'il s'amuse avec des figurines dans un magasin de jouets. Il a une forme de sagesse qui le rapproche de l’enfance, une forme de pureté retrouvée plutôt qu’intacte. Et c’est le cas de Monique Chaumette également. C‘est un âge où, si l’on ne s’invente pas des rêves, on s’éteint. »

- : « Que représentent pour vous le merveilleux, le monde de l'imaginaire ? »

Amanda Sthers : « Le merveilleux a un sens si une part de nous y croit. Si l’on admet son intrusion dans le quotidien. Les gens qui ne croient pas à leur imaginaire ne peuvent pas vivre de belles histoires. J’écoute mon imaginaire, mon inconscient, mon instinct et mes rêves. Ils m’ont souvent apporté plus que mes raisonnements. »

- : « Donner la chance à ses rêves, vouloir quelque chose d'exceptionnel – c'est aussi ça votre film, non ? »

Amanda Sthers : « Je voulais faire un film où tout peut arriver - même ce qui semble impossible. Et cela même s'il y a ce contrepoint permanent, la réalité violente à laquelle est confrontée le personnage de Carole Bouquet, la mort, inéluctable, qu'elle que soit l'option choisie. Il y a des limites à la volonté et des limites aux rêves. »

- : « Les femmes ont la part belle, elles aussi – femmes libérées des contraintes (vieillesse, sexualité) ; ainsi que la sororité - qu'elle soit mise à mal comme entre Cécile Cassel et Mélanie Thierry – ou, au contraire, solidaire, – entre les quatre filles. »

Amanda Sthers : « J’ai trois soeurs et des amies qui prennent de la place dans ma vie. Je crois aux coups de foudre en amitié, aux soeurs qu’on se choisit. Dans les rapports de Mélanie Thierry et Cécile Cassel, il y a la force de la sororité qui, contrairement à l’amitié, est incontrôlable. On ne se fâche pas vraiment avec quelqu’un de son sang, il y a une force animale qui dépasse la raison. On la sent entre ces deux personnages. Quant à ma vision de la femme, j’en ai hérité de ma mère. Il ne s’agit pas d’être une femme libérée comme on dit, mais bien un être humain libre. Libre du poids de son éducation, de son passé, de ses peurs… La liberté est ce qui donne la force d’avancer. On a l’âge de ses chaînes. »

- : « Est-ce que vous avez déjà eu envie d’échanger votre vie contre celle d'un autre, comme Pierre Arditi le propose à Carole Bouquet ? »

Amanda Sthers : « Mon métier, c’est beaucoup ça… me glisser dans d’autres peaux… C’est aussi celui de mon père et de Michael Lonsdale dans le film. »

- : « Il y a dans votre film, un côté "Au cinéma tout est possible" : les princes charmants, retrouver son amour de jeunesse, des clandestins que des policiers aident à s'échapper, etc. »

Amanda Sthers : « Pourquoi ce n’est pas comme ça la vie ? Je pense sincèrement que tout est possible. Je crois en Peter Pan, au Père Noël et aux monstres la nuit… »

- : « Le destin a aussi son importance. »

Amanda Sthers : « Oui. Le destin et ce qu’on ne veut pas lui laisser faire. C’est tout un débat entre les personnages de Carole Bouquet et Pierre Arditi. Décidons nous de quoi que ce soit ? Pour ma part, je crois que l’on fabrique son propre destin. »

- : « Il y a une fraîcheur, un culot, un optimisme bien loin du cynisme ambiant ; et qui, par ailleurs, n'empêchent pas la gravité, la douleur et les peurs. »

Amanda Sthers : « Je n’ai jamais pensé que la méchanceté rendait intelligent. Jamais voulu refuser les bons sentiments pour avoir l’air d’une intello cynique. J’aime les bons sentiments au cinéma et les personnages qui évoluent. J’assume totalement ce côté fleur bleue du film, même si la mort rôde, et que le personnage joué par Carole Bouquet choisit de se tuer plutôt que d’affronter à nouveau la douleur et l’angoisse. Ce film, je le redis, ressemble à la vie. »

- : « Comment avez-vous tourné ? Caméra, plans, etc. »

Amanda Sthers : « Je n’avais pas le luxe de pouvoir découper mes scènes à l’infini. Problème de budget donc de temps… Le chef opérateur Régis Blondeau est un cadeau tombé du ciel. Il a un sens du cadrage à la fois pur et réfléchi. Nous voulions faire le même film, ce qui a facilité les choses. Et, parfois, quand il me restait du temps, j’ai ajouté des plans plus étranges, plus travaillés. J’ai osé des choses, comme le long travelling qui ouvre la scène des filles au restaurant ; ou encore le plan qui ouvre le film : celui où je me suis mise face au miroir pour filmer Carole... »

- : « Comment définiriez-vous le rythme du film ? »

Amanda Sthers : « Le film est construit comme un puzzle. Au début on ne sait pas où je veux en venir et les choses prennent du sens peu à peu… C’est un meuble plein de tiroirs et on ne sait jamais ce qu’on va y trouver. »

- : « La musique a une grande importance – à un moment donné, c'est même elle qui rapproche les deux filles de Carole Bouquet. Comment avez-vous travaillé la bande originale ? »

Amanda Sthers : « La musique a une grande importance dans le film car elle en a une dans ma vie. Il y a les chansons comme celles de Hugh Coltman ou « When the rain beggins to fall» que chantent les deux soeurs, et qui les réconcilie. C’est fort une chanson : ça trimballe un moment de notre vie, un univers, des odeurs, des souvenirs. Ensuite, il y a la musique originale. Ca a été très compliqué. J’ai rencontré beaucoup de gens, beaucoup de compositeurs, d’interprètes, de groupes de talent. Et...jamais je ne trouvais « la » bonne musique. C’était beau. C’était réussi. Mais ça ne collait pas avec l’univers du film. La musique s’additionnait - au lieu de se fondre. Ca me désespérait. Deux semaines avant le mix, la responsable de la musique, Elise Luguern, me demande de rencontrer Sinclair, ce que je fais. Je n’avais plus confiance, je me demandais si je pouvais livrer un film nu. Sans musique. Comme un parti-pris.Je me suis assise au café. Sinclair avait vu le film le matin même. Il est arrivé avec la dernière séquence et de la musique dessus. Il savait que j’étais pressée. Peut-être un peu désagréable d’ailleurs… Il m’a vite dit qu’il avait quelque chose à me faire écouter. Et me voilà, au milieu de ce bar vide, avec son casque d’Iphone sur la tête et, soudain miracle : je redécouvrais mes images… Ce n’était pas forcément mieux ou moins bien que les autres, mais ça racontait la même chose que moi. Ensuite, Mathieu (Sinclair) a pris en main la musique du film. J’imagine que l’urgence a crée une émulation spéciale parce que le résultat est magique. Il y a une étrangeté qui ressemble au film. »

- : « Qu'est-ce qui a été le plus facile ? »

Amanda Sthers : « Créer une ambiance chaleureuse. Susciter l’enthousiasme… »

- : « Et le plus difficile ? »

Amanda Sthers : « Etre ferme sans être autoritaire. Diriger l’air de rien. Et surtout, un tournage est une épreuve physique. Le rythme est effrayant et rien ne doit jamais être laissé au hasard, qui, de toute façon, est là et nous surprend… Mais sur un tournage, le hasard doit toujours être un invité de dernière minute. »

- : « Racontez une anecdote de tournage. »

Amanda Sthers : « Il y a mille anecdotes sur un tournage. La plus forte c’est la scène où Carole Bouquet lit la lettre. Elle a été faite en une prise car elle n’était pas prévue. Carole devait juste fermer des enveloppes, tire, pleurer, regarder des photos. Elle m'a alors demandé de lui écrire une lettre qu’elle adresserait à ses filles afin de l’aider à trouver cette émotion. Ce que j'ai fait en deux minutes, entre le choix de la focale et les détails techniques. Et puis voilà : elle se met à la lire, et les larmes viennent sur ses joues et celles de toute l’équipe. J’ai compris enfin ce que voulaient dire les gens quand ils parlaient de la « magie du cinéma ». Il y a aussi une qui n’appartient qu’à moi. Je me souviens de la dernière prise. Le champagne coulait. Toute monde s’embrassait. Nous tournions dans une maison. Je suis allée m’asseoir sur un lit dans une chambre vide et j’ai pleuré. Dans mes larmes il y avait des sentiments contradictoires : le soulagement, la peine, la fin attendue et redoutée, l’épuisement... J’entendais les gens se réjouir en bruit de fond et là, j’ai réalisé comme il avait fallu être forte, tenir le navire, l’air de rien. J’avais enfin le droit de redevenir quelqu'un de ...fragile »

- : « Pensez-vous recommencer ? »

Amanda Sthers : « Oui… Oui… En me laissant le temps d’écrire des romans, de respirer entre les tournages… Je ne regrette pas les épreuves, ça en valait la peine. Comme une histoire d’amour. »

090610vai03.jpg
***

Fiche technique
Réalisation : Amanda Sthers
Scénarion, adaptation, dialogues : Amanda Sthers
Producteurs : Thomas Klotz et Yves Marmion
Directeur de la photographie : Régis Blondeau, Afc
Assistant réalisteur : Emilie Cherpitel
Décors : Wouter Zoon
Costumes : Emmanuelle Youchnovski
Montage : Elise Fievet
Son : Cyril Moisson, Gwennole Le Borgne, Cédric Deloche et Marc Doisne
Direction de production : Sybille Nicolas-Wallon
Musique originale : Sinclair
Supervision musicale : Elise Luguern
Scripte : Mathilde Vallet
Casting : Laure Cochener
Photographes de plateau : Thibault Grabherr  et Anouchka De Williencourt
Maquillage : Sophie Benaiche
Maquillage Carole Bouquet : Jacques Clemente
Coiffeur : Stéphane Desmarez
Coiffeur Carole Bouquet : Agathe Moro
Direction post-production : Abraham Goldblat
Artwork : The Rageman
Bandes annonces et teasers : SoniaToutCourt
Distribution : Ugc Distribution
Ventes Internationales : Ugc Images
Editions vidéo : Ugc Vidéo
Une coproduction : Sunrise Films et Ugc Ym
En association avec : Sofica Ugc 1 et Sofica Soficinema 5
Avec la participation de : Canal + et Cinecinema
Avec le soutien de : la Procirep et de l’Angoa-Agicoa
© 2009 Sunrise Films – Ugc Ym

***
  09logugc.jpg



présentation réalisée avec l’aimable autorisation de

remerciements à Séverine Garrido
logos, textes & photos © www.ugcdistribution.fr

Publié dans PRÉSENTATIONS

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article