* Of time and the city

Publié le par 67-ciné.gi-2009











Of time and the city documentaire de Terence Davies











durée : 1h14
sortie le 4 février 2009

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Synopsis
Of time and the city est une chanson d’amour, une ode à Liverpool, ville natale du réalisateur, une évocation de ce qui fut et qui n’est plus.


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Un poème visuel
Of time and the city est un poème visuel dit par Terence Davies qui reprend les vingt-huit premières années de sa vie à Liverpool avant son départ de la ville en 1973. Le film est montré comme s’il s’agissait d’une fiction dit
Terence Davies avec des images qui parlent et une bande-son composée de musique classique et de musique pop, de voix, d’extraits de radio, et de la voix puissante de l’auteur lui-même. Of time and the city est un portrait très personnel de Liverpool, qui va bien au-delà des Beatles et de ses clubs de football.
Terence Davies lui-même et ceux qui apparaissent sur ces images sont au coeur de ce poème visuel qui se situe entre 1945 et notre époque avec une toile de fond composée d’images sombres ; mélange de vie urbaine dans des maisons exiguës et de travail domestique harassant. Mais Davies n’abandonne jamais ses spectateurs à une morosité persistante, il contraste les images des quartiers pauvres avec une jolie musique exaltante et comme dans Distant voices, Still lives, il nous entraîne dans un monde de fantasmes et d’émotion collective qui rend la misère de la vie plus supportable ; le cinéma où c’est tous les jours Noël.
Le cinéaste raconte également son histoire passée dans la grande ville et dans la Grande-Bretagne de l’après-guerre ; un pays qui lutte pour tenter de maintenir son emprise en Afrique, en Inde et en Extrême-Orient. Puis l’on quitte cette période pour observer la transition de la Grande-Bretagne de l’austérité d’après-guerre à une nouvelle prospérité qui fait disparaître les maisons mitoyennes avec les toilettes à l’extérieur pour les remplacer par des tours de béton dépourvues de charme.
Tout cela est montré par de belles images d’immeubles en démolition et d’enfants traversant des terrains vagues, toujours observé par l’oeil sensible et poignant de Davies et parfois avec une colère fortement exprimée sur l’oubli total de ces voix qui n’ont jamais été entendues. Mais l’auteur a souhaité raconter leur histoire et la sienne. L’histoire d’une église catholique impitoyable dans laquelle, en quête de grâce, il se trouve incapable de nier ou même d’avouer son homosexualité. Il vit donc dans la violence subtile et continuelle de son environnement : physique, sexuelle, spirituelle, économique et domestique. Cette violence est également présente pour ceux qui l’entourent, mais pour lui s’ajoute la solitude du marginal qui ne trouvera jamais la fille qu’il aurait tant aimé désirer.
Le film est présenté sous forme de souvenirs, fracturés et réapparaissant à la surface, en revisitant les lieux où vécut le narrateur, la communauté de son enfance, en faisant des allers-retours entre passé et présent, mais toujours en montrant ce qui a disparu et les fragments des souvenirs qui demeurent en lui. Et cela toujours par le biais d’une voix magistrale qui guide les spectateurs par sa force, sa poésie, sa candeur et sa colère.
Les amoureux de l’oeuvre de Terence Davies retrouveront dans ce film beaucoup de ses thèmes fétiches : catholicisme, homosexualité, violence, mort, perte, gloire du cinéma, sentiment d’isolement et enfance. Mais Of time and the city montre également les souvenirs, la ville et le pays qui ont amené l’artiste à développer ces thèmes et tisse au-delà d’eux-mêmes une toile complète de sa vision caractérisée par sa propre magie.
Avec en ouverture les rideaux orangés d’un vieil écran de cinéma et la mélodie poignante d’un piano, nous pénétrons dans le monde de Davies quand les rideaux, perdent leur couleur et virent au noir et blanc. Dans l’oeil d’une caméra 8 mm, un train entre à toute vitesse dans un tunnel et à l’autre bout l’on découvre les superbes bâtiments de Liverpool à sa grande époque - les années 1800 – alors que c’était un port sur l’estuaire du fleuve Mersey et une ville de commerce maritime. On attend devant une porte dorée avant de découvrir un monument glorieux avec balustrades et balcons. La voix du narrateur nous emporte vers son propre rêve : un rêve de paix dans un esprit troublé, contrarié par l’église catholique illustrée par des images de saints et d’autels et par la musique de choeur. Cette église n’offrira au pécheur aucun baume divin, aucun pardon ; seul Satan arbore un sourire narquois qui dit : Je finirai bien par t’avoir.


On passe ensuite à un Liverpool moderne où l’on boit des cocktails dans Babylone et où l’on dîne dans des restaurants chics installés dans des églises sécularisées avant de revenir à des images en noir et blanc très différentes. De vieux clichés photographiques de bateaux sur le fleuve de Liverpool et le bruit des eaux rapides de l’estuaire de Mersey qui a fourni à Liverpool ses richesses étrangères venues par la mer.
On voit de vieilles images du ferry sur le fleuve, rempli de passagers venus travailler dans les docks et les commerces. Puis des foules des années 50 sur les terrains de football et la voix d’une radio donnant les scores des matchs. Le narrateur nous raconte combien les samedis étaient tranquilles et les dimanches encore davantage, quand le monde entier semblait écouter l’émission Round The Horne, remplie de doubles sens étranges qui évoquaient entre les lignes les pratiques homosexuelles et la sodomie. Tout cela bien avant que de telles pratiques ne soient dépénalisées en 1967.
Puis Davies nous entraîne dans le monde merveilleux du cinéma avec l’arrivée de Gregory Peck au Ritz Theatre de Birkenhead. Quiconque avait grandi là-bas, nous confie le réalisateur, ne pouvait trouver aucun de ces films ni trop riches ni trop pauvres, mais au contraire se gavait de comédies musicales, mélos, westerns.
Mais au cinéma, notre narrateur trouve un plaisir plus sombre : un semblant de reconnaissance dans La victime où Dirk Bogarde joue le rôle d’un avocat victime de chantage à cause de son homosexualité. Puis on découvre des matchs de lutte entre des hommes forts et musclés en maillots moulants noirs avec lesquels le narrateur ressentait la chaleur corporelle tout en tremblant devant la colère de Dieu, le monde de chair et le diable. Il est partagé entre les règles de l’église catholique et la loi qui condamne. Et l’homme qu’il appelle yeux d’ange, le Christ, ne lui sera d’aucun secours.
De retour dans le monde des quartiers pauvres d’avantguerre de la petite Angleterre - de Liverpool – construits dans les années 1800 mais toujours présents jusque dans les années 1970, on se retrouve dans des rues étroites et pavées, de longues rangées de maisons minuscules ; deux pièces en haut, deux pièces en bas. Où l’on découvre comment la femme luttait pour survivre : elle porte le linge sur sa tête, elle est à genoux dans la rue pour brosser des marches, une femme chante alors qu’elle nettoie la crasse du linge de la semaine au lavoir municipal. Une femme dans les années 1940 nous raconte comment elle s’est retrouvée seule, enfant, à élever ses frères et soeurs quand sa mère est décédée et que son père a dû partir travailler en mer.
Novembre se transforme en décembre, mois des engelures sur les mains et les pieds des petits, et mois de Noël : le salon brillait ; notre grenade exotique annuelle. Tout est réglé avec l’argent que sa mère a récupéré chez un prêteur sur gages. Et ses soeurs portent un parfum bon marché comme si c’était du Chanel.
Mais les souvenirs se précipitent à l’approche de la guerre de Corée et des années 50. Le frère du narrateur craint d’être mobilisé. Images de soldats faisant leurs adieux à leurs fiancées sur les docks ; des soldats peinent sur la neige des collines coréennes et se tiennent près des croix en bois des sépultures de leurs camarades. La puissante chanson qui accompagne ces images nous touchent audelà de sa famille, He ain’t heavy, he’s my brother.


Avec le mariage de la future reine en 1947, nous prenons connaissance des excès d’un monde britannique très différent. Elizabeth et Philip – Betty et Phil, comme le narrateur les appelle, ont reçu une liste incroyablement variée des cadeaux de mariage qui comporte entre autres 76 pochettes et 38 sacs à main… Puis il y a les 10 000 perles cousues sur la robe pour lesquelles la mariée aurait mis de côté toutes ses cartes de rationnement ; car toutes ces extravagances sont mises en parallèle avec le rationnement de l’alimentation et des vêtements qui a toujours lieu en 1953 quand Elizabeth II est couronnée dans l’opulence; Betty et Phil entourés d’un millier de laquais alors que tant de sujets continuent à vivre dans des taudis.
Les années 1950 apparaissent aussi comme celles de la fin de l’Empire britannique. Et il faut attendre les années 1960 pour que les quartiers pauvres de Liverpool soient rasés. Malgré la misère de cette vie, on détecte un sentiment de nostalgie dans la chanson de Peggy Lee The folks who live on the hill ; mais la réalité est bien noire sur ces images de vitres cassées dans les minuscules maisons victoriennes où des personnes âgées vivent dans des conditions sordides.
Les tours en béton dépourvues de tout charme sont-elles le paradis recherché et promis ? Davies ironise une fois de plus quand la caméra parcourt les immeubles de béton anonymes après les vérandas en acier qui donnent sur d’autres nouveaux taudis en béton et que Peggy Lee chante Notre véranda exigera une vue sur les verts pâturages.
Comment chanterions-nous, s’interroge le narrateur, sur un sol étranger ? Mais cette fois, c’est une nouvelle musique qu’on entend, celle de The Swinging Blue Jeans avec Hippy hippy shake ; et notre guide est tout sauf épaté. Il a perdu tout intérêt pour la musique pop après l’avènement du rock and roll. Davantage attiré par le monde classique de Sibelius, Chostakovitch et Bruckner, il demeure cependant enchanté par l’allure de la danse de salon, hectares de tulle, brillantine et robes de bal.
Sa mémoire est en pleine ébullition : les années 1950 quand tout le monde écoutait le Grand Prix, une course hippique à l’hippodrome d’Aintree de Liverpool, sur des transistors grands comme un toast. Et l’humour noir de Davies d’ajouter l’histoire d’un cheval nommé Quare Times que sa mère joue gagnant pour participer à cette course. Je sens bien Quare Times, dit-elle sans imaginer la connotation queer de Quare.
Un autre souvenir, alors que l’on découvre les écharpes et les robes blanches de la marche Orangiste du 12 juillet quand les protestants d’origine irlandaise fêtent la victoire de Guillaume d’Orange sur le roi catholique James en 1690. Et le narrateur se souvient du cortège rentrant à la maison en insultant ces papistes tout-puissants. Mais sa propre rue n’est pas sectaire : les catholiques sont simplement des gens qui font tout en mystérieux latin alors que les protestants chantaient leurs cantiques en anglais simple et sans chichi.
Mais la lumière brille toujours dans ce monde noir et marginal lors d’une excursion en ferry sur le fleuve Mersey. Et au gré d’un superbe changement d’humeur, la foule embarque sur le bateau en noir et blanc mais débarque en couleur. On découvre les rouges vifs et les bleus du bord de mer. Les costumes de bain, les chaises longues et l’horloge florale, les bonbons, la danse et les roudoudous de New Brighton. Le monde était jeune et ce que nous pouvions rire !
Puis l’on réembarque pour la vie dans les taudis avec leurs habitants qui espèrent le paradis et qui n’obtiennent que l’anus mundi : l’anus du monde. Deux jeunes filles promènent un bébé en poussette sur un terrain vague où quasiment toutes les maisons ont été démolies. A l’horizon, on voit la tour vers laquelle elles se rendent : leur nouveau domicile, un autre taudis.
Surfant sur la vague de ce souvenir d’un nouvel horizon, on nous présente l’inauguration de la nouvelle cathédrale catholique du Christ-Roi en 1967, inaugurée par le cardinal Heenan que l’on voit en rouge écarlate dans sa nouvelle robe, la Schiaparelli du Vatican et pour le narrateur, c’est la réalisation libératrice qu’il est devenu athée.
Les images nous ramènent une fois de plus à des logements dévastés. On entend un groupe de musique évangélique avant de se retrouver dans un salon de thé très raffiné de la ville avec une dame en chapeau et collier de perles et une serveuse en robe noire et tablier blanc. Puis les taudis dans les immeubles qui ont hébergé tant de familles dont les fenêtres sont cassées ou fermées par des planches de bois. Liverpool 8, cathédrale anglicane, lieu d’artistes, étudiants, taudis.
Pour le narrateur, le nouveau Liverpool incarne une architecture municipale sans imagination associée au génie britannique du maussade, offrant un paysage urbain tout sauf harmonieux et l’on voit les restes des immeubles sur les docks, coquilles vides d’entrepôts à moitié démolis.
Sur le front de mer, les eaux grises et impressionnantes du fleuve Mersey cognent contre le littoral et pour Terence Davies, l’eau est une image qui symbolise le début et la fin de la vie.
Dans sa réflexion sur la vie derrière lui et encore devant lui, il pleure la disparition du Liverpool qu’il a aimé. Pour lui, le temps frêle est suspendu par un fil au-dessus du monde, mais il ne renonce pas car il y a toujours de l’espoir chez les enfants. Avec en musique de fond le piano de l’émission de radio de la Bbc Listen with mother, on observe le Liverpool d’aujourd’hui avec des enfants qui marchent et chancèlent, d’autres dans des poussettes, un peu perdus, avant de retrouver quelqu’un. Vous, mes chers enfants, dit-il, vous êtes la terre.
Flûtes et trompettes nous amènent sans détour vers la splendeur royale du Municipal Buildings de Liverpool, épargné depuis le XIXe siècle pour l’avenir : Et tout est pour le mieux, nous dit la voix alors que l’on survole les eaux du Mersey. On se retrouve parmi de jeunes gens, des filles en chapeau de cow-boys argentés. Puis le cliché en plein écran d’une femme et de ses enfants. On nous raccompagne, dit le narrateur alors que l’on pique avec une musique éclatante sur des taudis et des tours, avant de voir les piliers du XIXe siècle de St George’s Hall, les statues de ceux qui ont été jugés grands et bons.
Puis la mémoire rejaillit avec de vieilles images un peu floues de lieux du passé. Mais le temps nous rattrape encore avec des fanfares de fontaines et un plan fixe au bord de l’eau, celui du Liver Building pris du fleuve avec un arc-en-ciel. Alors que le ciel s’assombrit, des feux d’artifice éclatent au bord de l’eau et l’on entend les vers de T.S. Eliot, dernières paroles du narrateur à son Liverpool et peut-être à ceux qu’il a le plus aimés ici, sa mère, ses soeurs : Bonsoir mesdames, bonsoir mes chères. Bonsoir. Bonsoir. Bonsoir.


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Fiche technique
Ecrit et réalisé par : Terence Davies
Montage : Liza Ryan-Carter
Archives : Jim Anderson
Musique : Ian Neil (pour Dna Music Ltd et Quantum Noise)
Directeur de la photographie : Tim Pollard
Etalonnage : Jamie Parry
Son : Adam Ryan-Carter
Assistant Caméra : Dominic O’keeffe
Archives Photographiques : « Grain Barge », « Shawlie & Husband », « The Long Walk » avec l’aimable autorisation de Bernard Fallon
Poduit par : Sol Papadopoulos et Roy Boulter
Producteurs exécutifs : Christopher Moll et Lisa Marie Russo
Directrice de production : Karen Radford
Production exécutive : Tracy O’riordan (Digital Departures)

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présentation réalisée avec l’aimable autorisation de


remerciements à
Etienne Ollagnier et Sarah Chazelle

logos, textes & photos © www.jour2fete.com

Publié dans PRÉSENTATIONS

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